Elisabeth Pellen est directrice éditoriale à Ubisoft. Elle travaille actuellement sur Skull and Bones. C’est loin d’être son premier projet dans cette firme bretonne devenue internationale. Planet of Death, King Kong, XIII, … elle a travaillé sur de nombreux postes pour plusieurs licences. Sa passion d’enfance, le jeu vidéo et un parcours atypique, en arts, l’ont emmené où elle voulait.

 

Bonjour Elisabeth. D’où vient ton intérêt (et peut-être même ta passion) pour le jeu vidéo ?

Ma passion vient de Lunapark la salle d’arcade de mon enfance à Carnac. Mes parents me donnaient une pièce après la plage et j’avais le choix entre une glace à l’Igloo ou une partie de PacMan.

Es-tu toi-même joueuse ? Joues-tu aux jeux sur lesquels tu travailles / as travaillé ?

Oui j’ai passé beaucoup d’heures sur Quake, Resident Evil, World of Warcraft et depuis 4 ans plutôt sur des jeux de survie tels que Ark et Rust dont je ne me lasse pas. Et beaucoup d’autres early access.
Mais je joue également pour le plaisir à des jeux sur lesquels j’ai travaillé comme The Division ou Ghost Recon Phantom dont je regrette la fermeture des serveurs.

Que voulais-tu faire quand tu étais petite ?

Quand j’avais 4 ans je voulais être Directrice de supermarché pour ramasser toutes les pièces des caisses en fin de journée avec un grand sac sur le dos. Pour pouvoir jouer au flipper, au baby-foot et à Pac Man.

Quelles ont été tes études ?

Après une tentative aux Beaux-arts de Nantes, j’ai passé le concours de l’ENSAD (Arts Deco) à Paris et j’y ai étudié la peinture, le cinéma, et la communication visuelle.


Comment a réagi ton entourage lorsque tu es arrivée dans une boîte de jeux vidéo ?

Sans beaucoup d’enthousiasme, car les jeux ne bénéficiant pas encore de la qualité de rendu d’aujourd’hui, personne ne comprenait pourquoi j’avais fait autant d’études pour me rapprocher d’un média en apparence simpliste. Si leur avis n’a pas vraiment changé aujourd’hui, en revanche leurs enfants comprennent mieux la complexité et la profondeur des univers dans lesquels ils peuvent exprimer une part de leur personnalité que la vie de tous les jours ne leur permet pas de mettre en valeur.

Est-ce un choix (une fin en soi plutôt) de travailler à Ubisoft ou un simple hasard ?

Quand je suis rentrée du Canada un an après la fin de mes études, le jeu Planet Of Death réalisé par Ubisoft venait de sortir et c’est la première fois que je découvrais enfin un jeu en temps réel, qui plus est en ligne, avec une direction artistique originale et spectaculaire. Le caractère unique et néanmoins grand publique de ce jeu m’a donné envie de postuler chez Ubisoft.


En quoi consiste ton métier de Directeur Éditoriale ?

Je viens de changer de métier pour retourner en production. Mais ces dernières années mon rôle consistait à définir les guidelines éditoriales avec Serge Hascoet le CCO d’Ubisoft, Yann Masson mon Co VP et nos équipes de Line Designer. Puis assurer le suivi qualité des projets AAA en ligne depuis la phase de conception jusqu’au lancement et pendant le post-launch. Je dirigeais une équipe d’expert en Game Design en contenu Open World et Online dont le rôle consiste toujours à aider les directeurs créatifs et les game designer à simuler des mondes ouverts cohérents en les mettant en relation avec plusieurs experts, historiens, scientifiques, militaires, marins… grâce à l’équipe de Tommy François qui a donné une nouvelle dimension à nos IPs. Ils nous aident à créer des systèmes de jeu intuitifs grâce à des repères inspirés de la réalité et supportés par une réalisation spectaculaire. Nous organisons aussi des sessions de travail et d’échange avec les équipes autour de sujets précis quand un segment du jeu a besoin d’un focus particulier.

Tu as aussi été Lead Level Designer (par expl sur King Kong), storyboarder (XIII), et à l’écriture sur certains jeux. Parle-nous de ces différentes expériences.

Oui j’ai effectué des métiers différents qui m’ont aidé à comprendre tous les rouages d’une production.
Sur XIII, l’adaptation de la bande dessinée, par exemple j’étais scénariste mais j’ai aussi modéliser des niveaux de jeu et réalisé beaucoup de séquences scriptées non bloquantes. Je menais déjà la guerre aux cinématiques. Et je ne m’attendais pas à mener ce combat car j’avais abandonné le cinéma pour un média plus interactif et je ne comprenais pas la volonté d’interrompre le jeu avec des séquences filmées. Ce qui m’intéressait c’était de créer des outils narratives propres aux jeux vidéos et non copier le cinéma. Aujourd’hui les jeux modernes se passent même de scènes scriptées sans pour autant renoncer à la narration.

Ce qui m’intéresse aujourd’hui c’est de simuler des mondes cohérents inspirés d’écosystèmes réels dans lesquels le joueur peut se raconter sa propre histoire au contact d’autres joueurs.

Sur quel jeu as-tu pris le plus de plaisir à travailler ? Pourquoi ?

Skull and Bones. Le jeu sur lequel je travaille actuellement en tant que Creative Director.

Parce qu’il s’agit d’un open World seamless PVP et PVE qui plonge les joueurs dans l’univers de la piraterie au XVIIIe siècle au cœur de l’océan indien, quand les empires coloniaux se livraient à une véritable compétition pour le contrôle des ressources.

C’est le genre de jeu sur lequel j’ai toujours rêvé de travailler car il a pour ambition de réconcilier le PVP avec une forme de narration plus implicite et modulaire. Pour créer un équilibre entre immersion et liberté d’action.

De quoi es-tu la plus fière ? As-tu un regret ?

Je suis fière d’avoir aidé Ubisoft à prendre un tournant Online à l’époque où les jeux retails dominaient encore le marché et où les chiffres annonçaient la mort du PC alors que je voyais émerger des modes et des jeux en ligne en apparence niches mais dont le potentiel étaient énormes.

Un pire et un meilleur souvenir (dans le vaste monde du jeu vidéo) ?

Un de mes meilleurs souvenirs est un workshop de trois jours que j’ai organisé avec une des meilleures guildes internationales de World of Warcraft et l’équipe de The Division 1, pour discuter de la pertinence de créer un MMO dans l’univers de Tom Clancy.

Faire tester à des joueurs pro des prototypes de modes PVP,  et une portion du End Game étaient une expérience unique. Aujourd’hui, nous faisons régulièrement appel à nos meilleurs joueurs pour améliorer la qualité des jeux en ligne avant la diffusion d’un DLC par exemple.

 

Il me semble que tu es à Ubisoft Singapour. Est-ce que le pays change ta mentalité ou ta façon de travailler ?

Je suis arrivée en Janvier, il est donc un peu tôt pour en parler, mais le studio compte 33 nationalités différentes donc c’est un sacré challenge de tous s’aligner sur la direction d’un projet mais c’est passionnant également. Surtout que notre jeu se passe dans l’univers de la piraterie qui réunissaient des marins de multiples horizons. Je dispose donc de consultants qui peuvent m’aiguiller sur la représentation des différentes cultures à bord d’un trois mâts.


Est-ce par choix ou obligation (d’avoir quitté la France). Pourquoi ?

Je n’ai pas encore été expulsée de mon pays ! 🙂 C’est le projet qui me motivait et certains collègues avec lesquels j’avais très envie de travailler.

Je ne regrette pas car je découvre tous les jours de nouveaux talents.

 

Qu’est-ce qui te rend heureuse et te motive tous les matins pour aller travailler ?

J’ai aimé mes huit années passées au siège de la société mais je suis heureuse d’avoir retrouvé l’aspect grisant de la production.
Créer un nouvel univers avec une équipe talentueuse est passionnant. Je remercie tous les matins, le ciel, les arbres, les oiseaux, le vent, la pluie et les serpents (il y en a plein à Singapour !) de me donner cette chance. Je me sens privilégiée. Voir le jeu prendre forme petit à petit est fantastique et le partager avec des personnes dont on respecte le travail décuple le plaisir !

Enfin, un conseil pour un étudiant (ou une étudiante) qui souhaite tenter sa chance dans le jeu vidéo (Ubisoft ou autre) ?

Être passionné(e), radical(e), sans concession. Ne pas chercher à plaire. Suivre son intuition et se donner les moyens de convaincre par tous les moyens. Ne pas avoir peur d’échouer. Se relever, et recommencer. Être à l’affût des autres talents qui peuvent vous épauler dans la bataille, car faire entendre ses idées passe aussi par l’écoute et repose sur la nécessité de se créer des alliés.
Pas de conseils spécifiques aux filles si ce n’est d’oser postuler car la diversité tire la qualité des productions vers le haut.


Merci beaucoup pour le temps accordé
:).

C’était un plaisir

 

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Interview d’Elisabeth Pellen : “ La diversité tire la qualité des productions vers le haut.”
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