Emilie Rinna est concept designer, pourtant elle ne s’attendait pas à ce parcours. Passionnée de jeux vidéo depuis toute petite, c’est seulement pendant ses études à l’EESI qu’elle s’est rendue compte que sa passion pouvait devenir un métier. Convaincue de son choix, ce rêve est devenu réalité.
Bonjour Emilie, quand tu étais petite, quel métier rêvais-tu de faire ?
Comme tout le monde, je suis passée par différentes phases : écrivaine, astronaute, créatrice de jeux vidéo, créatrice de vidéo clip pour des groupes de musique, professeur, scientifique, archéologue… et la liste continue ! D’une certaine manière, mon métier actuel me permet de vaguement émuler la plupart de ces domaines et je trouve ça plutôt chouette !
Comment ont grandi en toi la passion du jeu vidéo et du dessin ?
Je joue depuis que je suis assez jeune. Ma mère nous a acheté une Nintendo puis une Super Nintendo quand j’avais 5 ou 6 ans ans, sans savoir à quel point ça me collerait à la peau ! Les jeux qui m’ont le plus marqués étant The Firemen, Astérix et Obélix et surtout Secret of Evermore, qui est un jeu qui a actuellement très bien vieilli.
J’ai ensuite eu la chance d’avoir un ordinateur assez tôt, à l’époque ou c’était encore très rare d’en avoir un à la maison, au début des années 90. Mon père me ramenait des jeux sur disquettes et j’ai passé des heures à jouer à “A la poursuite de Carmen Sandiego”, “Expédition Amazone” pour plus tard, accrocher à la série “Age of Empire”.
Je me souviens que durant mon année de 5ème, je prenais des cours particuliers de Mathématiques et de Physique, matières ou j’avais des lacunes. Le “deal” était que je si je finissais mes exercices correctement, je pouvais jouer à Rayman sur l’ordinateur du mari de ma professeure particulière. Bizarrement, mes notes dans ces matières étaient devenues bien meilleures…
Le dessin n’est venu que bien plus tard, vers mes 22 ans, où, par un concours de circonstances, j’ai voulu m’orienter vers des études de webdesign. De fil en aiguille, mes objectifs professionnels ont continué à évoluer, en zig zag, jusqu’au métier de concept artiste / designer.
Quelles études as-tu fait pour en faire ton métier ?
A proprement dit, je n’ai pas fait d’études aboutissant à mon métier actuel. J’ai passé différents diplômes dans des domaines qui ne sont pas liés à mon métier actuel, puis me suis orientée vers des études d’art contemporain à l’EESI Poitiers, après m’être découverte une certaine affinité avec l’art de l’installation.
Ce n’est qu’en 2ème année, après un workshop en partenariat avec l’ENJMIN, que je me suis rendue compte que je pouvais réaliser mon rêve de gamine : créer des jeux vidéo. Je me suis un peu frottée à la programmation, sans succès pour ensuite m’essayer au concept art.
Ça a été le début d’un long et douloureux processus : apprendre à dessiner et peindre correctement. Je n’avais plus qu’une seule envie : travailler dans les jeux vidéo, pas de plan B.
Vers la fin de ma 3ème année à l’EESI, le soir après les cours, je créais des concept art. Ils ont ensuite constitué mon premier portfolio en ligne et m’ont permis de décrocher un stage dans un studio indépendant, à Paris, en Juillet 2014. C’était le début d’une grande aventure tant attendue !
Actuellement, en quoi consiste ton métier de Concept Designer ?
Généralement, je décris mon métier aux non aficionados en donnant l’exemple des designers automobiles. Suivant un brief, leur métier consiste à transformer des mots en visuels, à designer visuellement une voiture pour qu’ensuite le reste de l’équipe puisse la créer, de manière tangible et fonctionnelle.
Mon métier est similaire mais dans le cadre d’un jeu vidéo, je suis amenée à designer des environnements, des personnages, des véhicules, armes, gadgets etc. en prenant en compte les besoins de gameplay, d’animation, de vfx si besoin.
Je travaille avec mon directeur artistique et créatif, les game designers, les animateurs, les VFX artistes, les sound designer et parfois les programmeurs pour avoir une compréhension de nos possibilités, relatives au moteur de jeu utilisé.
Cela demande pas mal de recherches visuelles, historiques, technologiques, en amont, avant de pouvoir passer dans la phase de création. De simples croquis à des images plus finies, il y a pas mal d’étapes et d’itérations avant que mon travail ne soit ensuite repris par le reste de l’équipe pour le prototyper et l’implémenter dans le moteur de jeu.
Dans quels autres studios (et autres postes) as-tu été ?
En parallèle de mes études, j’ai travaillé dans divers domaines. J’ai été hôtesse pour des événements de communication, archiviste web pour un journal dans la Caraïbe, assistante de direction etc. En tant qu’étudiante, j’ai aussi pu contribuer à quelques projets de courts métrages d’animation qui m’ont pas mal appris, comme “Chérie, rends moi mes collants” de Pauline Roland mais aussi “En voiture” et “Un week-end dans l’espace” de Jean Rubak et Amélie Compain.
Mais ma carrière professionnelle s’est vraiment lancée avec l’industrie du jeu vidéo. J’ai commencé en tant que concept artiste stagiaire à Novaquark, un studio indépendant basé à Paris sur un jeu nommé Dual Universe.
Après cette première expérience qui a duré un an et où j’ai pu obtenir mes premiers CDD, j’ai eu une période en freelance lors de laquelle j’ai eu l’occasion de travailler pour Boss Key, le studio de Cliff Bleszinski et Arjan Brussee, sur LawBreakers. J’ai ensuite travaillé sur Mass Effect Andromeda de Bioware / EA via le studio de développement visuel VOLTA puis sur un projet non annoncé pour un studio indépendant Américain.
De quoi es-tu la plus fière, as-tu un regret ?
Je pense que je suis la plus fière quand j’entends ou lis des discussions de joueurs à propos des jeux sur lesquels j’ai travaillé. Les voir créer des vidéos détaillées expliquant ce qu’ils aiment dans l’expérience qu’on leur propose, comment ils se l’approprient, les souvenirs que ça leur crée…
Certains jeux m’ont laissé des souvenirs incroyables, qui sont à jamais gravés dans ma mémoire et savoir que je peux contribuer à ce même genre d’expériences pour des gens que je ne connais pas n’a clairement pas de prix.
Même si parfois les retours sont négatifs, le fait que les joueurs prennent le temps d’exprimer leur passion, le pourquoi du comment, permet de connaître leurs attentes. Même si parfois, dans un contexte de développement de jeu, elles ne sont pas réalisables à l’instant T.
Mon plus grand regret, si je peux l’appeler comme ça, serait de ne pas avoir pu embarquer plus tôt dans le développement de jeux vidéo. Mes parents voulaient s’assurer que je finissent mes cursus et que j’obtienne mes diplômes. Ça m’a valu de rester coincée quelques années dans des études qui ne me plaisaient plus, dans le seul but de leur faire plaisir. J’ai fait mes premiers pas dans l’industrie du jeu vidéo assez tard, comparé à pas mal des pairs de mon âge.
Quels artistes inspirent ton travail ?
J’essaie de garder mes références assez éclectiques pour éviter de générer un cycle créatif incestueux ! J’aime énormément de choses très différentes les unes des autres. Du travail photographique intemporel et dramatique de Simon Weaner au robots et véhicules d’Aaron Beck et Daniel Simon en passant par les peintres orientalistes du 19ème siècle. J’y trouve mon compte, dans leur approche créative et ce qui leur importe de retranscrire dans leur art.
Il ne sont pas tous des artistes visuels. Neil Gaiman et Philip K. Dick doivent être mes écrivains favoris et sont une solide base d’inspiration pour mes projets personnels en cours.
As-tu des outils et thèmes de prédilection ? Si oui, lesquels et pourquoi ?
Je ne pense pas avoir d’outils de prédilection, j’expérimente un peu tout pour voir si certains outils ont une place ou non dans mon processus de travail.
Mes outils principaux restent Photoshop et 3ds Max, même si j’essaie récemment d’intégrer des applications de design en réalité virtuelle dans ma routine, comme Gravity Sketch par exemple.
Coté thème, j’aime la Science-fiction bien que j’ai un petit faible pour la Fantasy. J’ai grandi en regardant majoritairement des films et séries d’anticipation ou de Science-fiction.
Ma mère en était une grande fan, elle m’a fait découvrir, dans les années 90, des séries comme V les Visiteurs, Code Quantum, K2000, La planète des singes et pleins d’autres.
C’est cependant arrivé par hasard que je me spécialise en Science-fiction dans ma carrière, même si j’espère un jour contribuer à des projets différents !
Etre une femme dans le jeu vidéo, est-ce un avantage ou inconvénient (ou pas) ? Pourquoi ?
Je ne vois pas ça en terme d’avantage ou d’inconvénient, tout cadre créatif a besoin d’une mixité de genres et d’origines, au risque de tourner en rond.
La plupart des studios de jeux vidéo sont majoritairement composés d’une gente masculine et parfois, s’y insérer en étant une femme peut être plus difficile. Ce n’est pas partout le cas bien heureusement. Si jamais votre expérience est désagréable, n’hésitez pas à en parler autour de vous et / ou à prendre le large. Personne ne mérite d’être jugé sur un critère de genre.
Comparée à beaucoup de mes paires féminines, mon expérience à été plutôt positive, malgré quelques épisodes minimes. J’ai eu la chance d’être entourée et recrutées par des collègues formidables, tous genres confondus, qui m’ont toujours poussée dans ma carrière et mon développement personnel. Mais j’avoue que certains épisodes m’ont amenée à développer, au fil du temps, une personnalité différente afin de pouvoir gérer ce genre de situations.
Il ne faut pas pour autant que cela décourage les femmes à se lancer dans une telle carrière. Vous trouverez, je l’espère, des alliés qui vous aideront dans votre progression, sans tenir compte de votre genre.
Ne soyez pas intimidée par le fait de vous exprimer et d’affirmer vos choix. Il existe de nombreuses professionnelles dans ce milieu, que ce soit en freelance ou en studio. J’espère en voir de plus en plus !
Qu’est-ce qui te rend heureuse dans ton travail ?
Travailler en équipe vers un but commun est sûrement ce qui me “hype” le plus. Je serais incapable de créer un jeu entier toute seule et voir les choses prendre forme petit à petit grâce à diverses talents est assez excitant.
Ça ne se passe pas forcément sans friction. Etant donné que l’on a tous une opinion et une vision des choses différente. Le pire qu’il puisse arriver est que cela devienne un processus automatique où personne ne voit la valeur ajoutée par leur opinion et que chacun ait l’impression de n’être qu’un rouage dans une machine immense. Ce n’est pas forcément facile de trouver un bon équilibre mais c’est possible dans certains studios, même de grande taille.
Sur quel projet (ou type de projet) rêves-tu de travailler ?
Je n’ai pour l’instant travailler que sur des projets de jeux vidéo de façon professionnelle. J’adorerais travailler sur des films ou des séries télévisées où l’on me demanderait de designer des décors, objets ou véhicules qui auraient besoin d’être construit pour les besoins du tournage. Ce serait des challenges que j’aimerais bien relever !
Tu travailles actuellement à Londres, vois-tu des différences dans la façon de travailler ou d’appréhender le jeu entre la France et l’Angleterre ?
Je n’ai travaillé que pour un seul studio Français jusque là donc je ne peux pas vraiment comparer l’expérience. Une chose est sûre, chaque studio, peu importe le pays, a sa propre façon de travailler. Mes trois expériences en studio ont toutes été très différentes les unes des autres, qu’il s’agisse du niveau de collaboration entre les départements ou de la liberté créative donnée.
Cependant, d’une manière plus générale , je trouve que l’Angleterre comme d’autres de nos pays voisins, accordent plus de respect aux artistes et leur proposent des salaires plus intéressants. L’angleterre est un centre historique de l’industrie du jeu vidéo et les studios sont éparpillés sur tout le pays, avec un grand cœur de studios indépendants à Brighton.
J’ai remarqué que c’est aussi bien plus facile de débuter sans ou avec peu d’expérience en Angleterre. Les studios n’ont pas peur d’embaucher des jeunes diplômés parfois directement à temps plein.
Aussi, on ne vous demandera jamais de quelle école vous venez, pas même les ressources humaines : votre portfolio fait office de CV.
Enfin, un conseil pour celui ou celle qui souhaite se lancer dans le jeu vidéo et plus précisément dans un domaine artistique ?
On est tous partis de zéro : tout s’apprend et se perfectionne. Essayez de rester consistant et continuez à pousser, vous verrez la lumière au bout du tunnel.
Préserver votre enthousiasme, surtout si vous êtes du côté créatif : une fois le pied dans l’industrie, développer un jeu peut être très frustrant, mais aussi extrêmement gratifiant. Beaucoup de personnes quittent ce milieu pour cause de désillusion : l’idée étant de garder un œil sur l’objectif final tout en prenant soin de vous et de votre santé mentale ! Plus facile à dire qu’à faire ceci-dit.
Et si vous vous sentez d’humeur aventureuse, n’hésitez pas à postuler dans des studios étrangers, ça sera peut-être le début d’une belle aventure !