Le 27 avril dernier, le ministère de l’économie annonçait la création de France eSport.
Reconnaissance de la discipline, encadrement légal des compétitions, création d’un statut légal pour les eSportifs… le sujet a fait couler de l’encre et délié pas mal de langues.
5 mois après l’annonce et l’engouement qui a suivi, les associations Loisirs Numériques et MO5.com organisent une discussion.
Au programme : “L’eSport, vraie opportunité ou nuage de fumée ?”
Sur le banc ? Des invités issus du monde eSport :
– Marc «Vazy» Berthold – Co-Fondateur et CEO, World eSport
– Grégory «DraGon» Vidal – Directeur des Masters du Jeu Vidéo
– Hadrien «Thud» Noci – Co-Fondateur et VP, O’Gaming.TV / Alt Tab Productions
& Julien Brochet – Directeur ESWC chez Webedia.
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Après une courte présentation de leurs parcours respectifs, l’animateur du soir : Julien Thiry, donne le premier coup de sifflet : “Mais qu’est-ce que l’eSport ?”
L’eSport ? C’est la pratique sur internet ou en réseau d’un jeu vidéo, seul ou en équipe, “existant depuis que le jeu vidéo existe” nous dit-on.
…Pourtant très sur le devant de la scène actuellement, non ?
Plus on en parle, et plus l’eSport connaît un essor qu’il serait difficile d’ignorer.
Ce ne sont pas les compétitions qui sont démocratisées, mais bel et bien l’accès aux compétitions… car les compétitions, elles, existent depuis un moment.
Thud nous explique avec humour que l’eSport est surtout devenu un sujet lorsqu’ Amazon a racheté Twitch pour près d’1 milliard de dollars : “là tout le monde a compris !” 🙂
Faute ! L’eSport est-il générationnel ou bien ciblé ?
[L’anecdote rigolote nous vient de Julien, l’animateur, et de sa doctoresse qui s’exclame “Ah, vous n’avez pas grandi !” quand ce dernier lui apprend, non pas sans fierté, sa reconversion dans l’eSport.]
Pour Julien Brochet, ça remonte simplement à la diabolisation du JV. L’image d’un lien social coupé, de l’isolement, d’un manque de maturité ou de violence. Il n’y aurait “rien à faire” pour cette génération de personnes qui voit le Jeu Vidéo comme le mal, ajoute Grégory aka “DraGon”.
Et pourtant, du côté de Marc, on s’identifie à une génération qui a grandi avec le Jeu Vidéo et avec l’eSport [Marc est triple champion de France sur Call Of Duty 3], et qui se sent totalement dans la cible eSport. Il est même désireux de construire avec, à présent.
On parle alors de l’eSport vu par le joueur, mais aussi, et de plus en plus, vu pour la cible des “viewers”. Ces personnes qui regardent les autres jouer. Le mode spectateur du Jeu Vidéo illustre très bien cette tendance. Car oui, l’eSport a un public.
Côté tribunes, justement, on se pose la question si ce mode change le niveau du jeu, et c’est alors qu’on en vient à parler technique.
Avec l’émergence de la WebTV, techniquement, on a un seul “spectateur”, qui streame à tout le monde là où avant, on mettait en cause des problèmes de lags et donc une visibilité modérée.
Il est donc assez sensé, pour nos invités, de faire plaisir aux spectateurs, bien plus nombreux que les eSportifs eux-mêmes, et pour qui, le niveau ne semble pas réellement être altéré.
L’eSport marque-t-il la chute des autres jeux vidéo ?
Dans nos gradins de l’école 42, on nous pose la question. Question à laquelle la réponse est catégorique : non. L’eSport fait la promotion du Jeu Vidéo. Par exemple, selon Julien B., sa propre maman n’aurait sans doute pas commencé à jouer à Candy Crush si elle n’avait pas été interpellée par les activités vidéo-ludiques de son fils. Et il y a beaucoup plus de joueurs de Jeu Vidéo dit “classique” que de joueurs d’eSport.
Côté industrie du Jeu Vidéo, qu’est-ce que l’eSport implique ?
Un nouveau marché. Un nouveau marché totalement inconnu.
A la manière d’une passe à l’aveugle, les acteurs du secteur semblent tester et voir ce qui fonctionne. Une stratégie un peu binaire, de l’aveu de Thud.
Pour l’instant, personne ne saurait dire ce que fait le million de viewers quand il n’est pas en train de regarder une compétition.
Pour l’instant ? Seulement des indices, comme par exemple le nombre de visiteurs uniques sur Twitch (entre 60 et 80 millions) qui correspondrait au nombre de personnes qui s’auto-considèrent comme passionnées par l’eSport.
→ Top ou Flop, le rôle des éditeurs et des acteurs eSport sur la scène eSport ?
Pas mal de volontaires lèvent la main dans le public.
On y attaque un peu les éditeurs, malgré leur aveu de test perpétuel, d’encourager certains jeux plus que d’autres sur la scène eSport.
La défense se met alors en place sur le terrain des RVL : “Les jeux qui marchent le mieux, sont paradoxalement les plus incompréhensibles” nous dit DraGon.
Le secteur est nouveau. On teste. Tout. Ou en tout cas, tout ce qui pourrait susciter de l’intérêt. Un intérêt difficilement quantifiable puisque souvent la dextérité d’un animateur, l’humour ou l’angle abordé, jouent beaucoup dans le succès d’une session.
DraGon continue : les jeux qui marchent, à la base, on n’en sait rien.
LoL, Counter Strike… ça marche, mais on n’a encore aucune idée de si Overwatch va fonctionner.
Ils ne sont pas là pour dicter les jeux. Sur certaines scènes eSport, les tournois sont même moqués jusqu’à ce qu’ils fassent leurs preuves. C’eût été le cas de DOTA 1 ou même de Just Dance, plus récemment.
Marc “Vazy” alimente le sujet : “C’est la communauté qui fait le jeu souvent !”, avec pour référence, Call Of Duty 4, boudé par les organisateurs, sur qui la communauté a réussi à faire pression.
Pour ce qui est des jeux de combats, les éditeurs semblent être en retard, lents au démarrage, selon nos défenseurs de la scène eSport. Pour l’instant à part Namco/Bandai qui semble avoir misé sur Tekken 4 Tournament, on a que très peu d’exemples. La communication, qui plus est, semble plus difficile, car la communauté serait plus difficile d’accès. Une niche de laquelle les King Of Fighters et autres Street Fighter ont l’air de bien se démarquer pourtant.
La fédération France eSport, ça change quoi concrètement ?
Le ballon du dialogue remis en touche, les spectateurs reprennent la parole, coachés par nos animateurs. Le temps passe vite lors de cette rencontre.
Avec cynisme, on nous rappelle que c’est un abus de langage de parler de fédération là où ils n’établiront pas les règles, et qu’il n’existe pas de fédération à proprement parlé.
France eSport, pour certains de nos intervenants, ça semble être une opportunité, saisie par le gouvernement, avec un intérêt financier mais aussi celui d’atteindre un nouvel électorat des 20-35 ans.
Mais avec France eSport, on entame surtout la légalisation de l’eSport. Moins clandestin qu’hier et plus clandestin que demain, l’eSport est sujet à de nombreux combats qui ne font que commencer. L’objectif n’est pas d’être une fédération, mais d’avoir du poids au niveau international.
Après quelques feintes de regard, le micro atterrit à nouveau dans les mains du public.
C’est quoi le prochain ‘LoL’ ?
Rieurs, nos invités signalent avoir oublié leur boule de cristal au vestiaire. S’ils testent autant, c’est qu’ils n’ont pas encore établi les règles et ne connaissent pas la recette du succès. Evidemment, ils ont quand même des intuitions, comme Thud, qui nous cite Overwatch ou Heroes of the Storm comme assez attendus, et de manière plus générale, les jeux de stratégie.
eSport, petit frère du sport ou non ?
On parle d’eSport comme totalement nouveau, mais s’il emprunte le mot sport c’est qu’il en possède des similitudes. Alors pourquoi pas des JO eSports interroge le public : “ A quel moment va-t-on pouvoir fusionner les media à l’eSport ?”, tout en s’amusant du fait que des tas de gens se passionnent pour des jeux qu’ils ne comprennent même pas, pendant les Jeux Olympiques.
[Lors des derniers JO, les eGames ont assez peu fait parler d’eux alors qu’ils s’identifiaient clairement à des JO eSports. En France, l’initiative n’a pas été prise au sérieux.]
Unis, nos invités opposent la passivité d’un programme TV au contenu “à la carte” d’internet. La cible eSport, serait, selon eux, bien trop habituée à choisir son contenu pour subir à la manière d’un téléspectateur.
Le danger encouru par les éditeurs de jeux est irrémédiablement évoqué lui aussi : il paraît impossible que les créateurs de jeux se mettent en danger en suscitant la curiosité vers un jeu concurrent ou aussi bêtement qu’en s’associant à la concurrence. Trop compliqué.
L’argent : la menace qui pèse sur l’eSport ?
Le public nous interpelle avec le rapprochement Webedia-PSG et parle de rachats effrayants.
Côté invités, on est plutôt sereins. C’est le jeu, et c’est même du pain béni pour faire le pont entre les communautés. C’est même loin d’être un problème, car personne ne rachètera jamais tous les acteurs.
L’eSport s’échauffe. On est seulement aux prémices d’un secteur qui connaîtra son réel essor quand les joueurs deviendront décisionnaires sur les budgets marketing et communication, c’est certain.
Mais “l’argent n’a pas fait l’eSport et ce n’est donc pas l’argent qui lui enlèvera ses lettres de noblesse” conclut Grégory.
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[Coup de sifflet final.]
Après quelques minutes additionnelles passées à répondre aux questions du public hors antenne, nos invités, remerciés, quittent le terrain sur le bilan d’une rencontre vidéo-ludique à l’avantage d’un eSport aussi opportuniste que plein d’opportunités.
Pour de prochains débats, n’hésitez pas à suivre l’association Loisirs Numériques sur ses réseaux : Facebook & Twitter.
Merci, et à bientôt pour de prochaines Rencontres Vidéoludiques.
E.
Retrouvez le numéro 13 des RVL en images, ici :
CONF@42 – Rencontres videoludiques #13 – L… par 42Born2Code
Merci à l’école 42 de nous avoir accueilli et streamé !
Merci pour cet article, esperons que l’esport se développe !