“Le développeur ayant bûché,
Toute l’année,
Se trouva fort dépourvu
Quand le joueur fut déçu.
[…]
Il alla demander critique
aux Rencontres Vidéo-ludiques.”
—
C’est à l’école 42, ce jeudi 19 mai 2016, que MO5.com & Loisirs Numériques nous donnent rendez-vous pour le numéro 12 des Rencontres Vidéo-ludiques, placé sous le signe du joueur et de son influence dans la création du Jeu Vidéo.
19h30, nous voilà donc en compagnie de :
- Sandra Mauri, Community Manager chez Mazarine You to You,
- Maxence Voleau, Game designer chez Amplitude Studios,
- & Yann Masson, VP editotial chez Ubisoft.
Tous trois liés à l’industrie du Jeu Vidéo, ils participent à l’élaboration du jeu en question mais aussi au dialogue installé entre les joueurs et les éditeurs.
Bilan d’une rencontre animée.
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“Maître joueur, sur sa console penché,
Tenait en ses mains un jeu vidéo :
Hé ! Bonjour, Monsieur développeur ! Que vous me semblez fort !
Dites moi, comment on crée un jeu vidéo ?”
—
Le débat commence dans le vif du sujet avec la question basique mais pas moins cruciale :
Comment on crée un jeu vidéo ? Comment fait-on pour savoir où aller ?
Première réponse ? “ça dépend”. Voilà qui donne le la au débat.
Nouvelle licence ou suite ; on crée à partir de rien ou bien on suit le ressenti des joueurs sur les épisodes précédents.
“L’acte d’achat motive les tendances futures” nous dit Yann, dinosaure du jeu vidéo, auto-portrait amusant de l’homme qui se tient en tailleur sur sa petite chaise, tout en souplesse parmi nous.
Succès marketing = premier indicateur d’implication du joueur dans le jeu vidéo ?
Plus la licence est achetée, plus elle est appréciée, plus il y a de chances pour que le développement d’un épisode s’oriente dans la même direction.
Si Sandra rappelle avec tact qu’on ne peut pas faire plaisir à tout le monde et que tout n’est pas forcément facile à entendre quand on est développeur, Maxence ajoute que l’implication du joueur lors de la création est plus ou moins précoce et importante selon la stratégie même de l’éditeur. Plus tranché, Yann est persuadé que l’équipe créative doit être isolée de toute influence pour se forger une vision solide et ensuite uniquement, commencer à écouter la réaction des joueurs. C’est d’ailleurs ce que fait très bien Blizzard nous précise-t-il.
L’implication est-elle alors nécessaire ?
“Il est du droit des développeurs d’ignorer le joueur mais ça paraît de plus en plus inconcevable de ne pas travailler avec les joueurs. […] Ce serait une perte de ne pas le faire !” réagit Maxence. Si les intervenants sont d’accord pour dire que l’intérêt des créatifs pour l’avis des consommateurs est une question d’idéologie, ils ont tous conscience que le Jeu Vidéo évolue beaucoup en faveur de la parole donnée aux joueurs, et que ça fait à présent partie de la donne. “Une autarcie complète pendant toute la durée de création du JV ? Jamais vu !” s’exclame Yann.
D’ailleurs, dans ce sens, certains éditeurs adoptent le développement en live pour impliquer davantage les joueurs et justifier plus facilement leurs choix. Souvent, une discussion bilatérale s’installe alors. La transparence est de mise, et de plus en plus de licences sortent au tout début de leur création et continuent d’évoluer pendant deux ou trois ans.
L’anecdote ? Elle nous vient de Yann qui nous explique que souvent les développeurs boudent le fait de devoir se lancer dans une histoire sans fin et finissent par adorer ça. “C’est un pur plaisir de travailler avec les joueurs, c’est comme une drogue !” confirme Maxence.
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“ Rien ne sert de courir ; il faut écouter l’audience”
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L’implication du joueur est-elle synonyme de planning chamboulé ?
Faites place au développement élastique ! Il n’est pas rare, depuis qu’on donne la parole aux joueurs et qu’il arrive de modifier le jeu en fonction des retours, d’étendre un planning de création et de repousser la sortie d’un jeu. Impliquer le joueur signifie prendre le temps de le faire. “Avec les réseaux sociaux, contacter la marque est devenu bien plus facile pour les communautés de joueurs” insiste Sandra qui souligne la visibilité accrue et l’impossibilité, pour les éditeurs, de faire l’autruche.
Y-a-t-il une jauge pour mesurer l’importance des interventions et la prise en compte de ces dernières ?
Nos trois intervenants acquiescent : s’il faut toujours relativiser les prises de parole, même massives, c’est que suivre aveuglément les perceptions de chacun n’est pas forcément la meilleure idée. Il faut toujours croiser le quantitatif avec le qualitatif, mais aussi savoir pondérer le poids de chaque commentaire. Savoir donner au public ce qu’il n’attend pas fait aussi partie du jeu.
Conflit d’intérêts : les créateurs ne sont-ils pas des joueurs avant tout ?
Maxence nous rappelle que créer le jeu est une passion, et que ceux qui se trouvent dans les coulisses du jeu vidéo sont aussi ceux qui sont aux manettes. Mais attention ! Malgré tous nos a priori, souvent, pour garder leur distance de professionnels, les créateurs derrière le jeu ne sont pas la cible des jeux qu’ils créent. Le joueur est toujours impliqué différemment de par sa nature même de joueur, distant du projet, “naïf”, apportant son regard nouveau et sa fraîcheur à une vision globale du créateur, plus fermée et plus emprunte d’expérience vis-à-vis du jeu.
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“ La raison du joueur n’est pas toujours la meilleure,
Nous l’allons montrer tout à l’heure.”
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Alors que le public se chamaille le micro pour poser ses questions, le débat continue sur la place accordée au joueur et à la place du marketing dans l’industrie vidéo-ludique.
“On fait des jeux vidéo parce que ça nous passionne mais c’est aussi une industrie. Y’a une réalité derrière tout ça, évidemment”. Ça, c’est Maxence qui s’empresse de répondre à un joueur du public, “presque dégoûté” de l’importance du marketing dans le développement des jeux vidéo et qui remarque une tendance à la facilité dans le développement des licences qui se ressemblent trop et dont les suites sont infinies. Mais aller dans la même direction que celle d’un jeu qui fonctionne, si c’est perçu par certains comme une facilité, c’est souvent être à l’écoute du joueur.
AAA et popularité : existe-t-il un bon compromis ?
Sandra, qui est en première ligne lorsque les joueurs font leur retour, explique que tout doit être pondéré. Toutes les attentes et tous les profils existent. Un jeu ne pourra pas être bien reçu à 100%. Ça n’existe pas. De l’Hardcore Gamer au joueur ponctuel, il existe autant d’expériences de jeu que de joueurs. Ainsi, même si certaines licences créent des tollés réguliers chez certains aficionados, les nouveaux joueurs de ces mêmes licences ne percevront pas le jeu de la même façon. Il est donc quelque part, assez injuste de critiquer l’évolution d’un jeu seulement par rapport à son propre parcours dans celui-ci. Et Maxence ajoute que la plupart des développeurs sont très fiers à la sortie du jeu !
Regagner le coeur de la communauté, c’est possible ?
Après avoir déçu une communauté, l’éditeur a-t-il une marge de manoeuvre ? Question très intéressante du public qui note le flop de Final Fantasy XIV bien géré par les studios.
La réponse ? “Pour pardonner, il faut que le jeu comporte beaucoup de bon […] la communauté, tu ne la rattrapes pas quand c’est vraiment médiocre” selon Yann.
Du côté des intervenants, on mise en effet sur l’affectif liées aux licences mais aussi sur les intentions de l’éditeur pour se racheter.
Dans l’extrême, une communauté de joueurs décisionnaires, ça donne quoi ?
Imaginons que les joueurs aient tellement d’impact qu’ils pourraient influer directement sur l’existence du jeu… non, vous n’imaginez pas ? On nous parle pourtant d’une communauté un peu à part, celle du “Conseil des Joueurs” sur Eve Online. Les joueurs ne sont pas contents, ils font grève et plantent volontairement les serveurs du jeu. Même si le schéma ne semble pas applicable à tous les modèles, voici un parfait exemple du risque d’impliquer le joueur au maximum.
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“ Le joueur tient bon, le joueur vit.
L’éditeur redouble ses efforts,
et fait si bien qu’il entretient
Celui de qui la passion est débordante. ”
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Écouter le joueur, le faire participer au jeu vidéo est devenu coutume dans l’industrie vidéo-ludique. Nous, on continue de donner la parole au public.
Les bêta serviraient-elles à recueillir les avis pour sortir un meilleur jeu ?
“C’est devenu une mode !” Mode ou intérêt technique, la pratique est de plus en plus courante et satisfait des joueurs chanceux et avides de nouveautés. Alors que le suspense et la mise en haleine ne s’en voient que davantage travaillés, on nous interroge sur la prise en compte des remarques des joueurs au moment des tests. Évidemment, la durée de la mise à disposition de la bêta avant la sortie joue énormément. 6 mois avant les créateurs peuvent se permettre de modifier leurs jeux, mais 1 mois avant la sortie, c’est un peu plus compliqué.
Quelle place pour les efforts de la part des éditeurs, pour les joueurs ?
Mis à part privilégier une portion d’ambassadeurs en leur donnant des accès anticipés à des versions tests, les éditeurs élargissent petit à petit leur marge de manoeuvre pour faire plaisir à leurs communautés.
Ceci peut passer par des modes en “free to play” à savoir gratuits ou des eshop bien fournis, qui fidélisent et provoquent un engagement sur la durée, tout comme par des modes “online” plus longs et plus poussés. Le gain en expérience de jeu va amener un gain en fidélité certain, le tout participant à l’expérience d’un jeu évolutif.
Quelles évolutions identitaires en fonction du joueur ?
Jusqu’où sont capables d’aller les éditeurs pour faire plaisir à leurs communautés ? La question est posée : on affronte quotidiennement des évolutions culturelles, mais, surtout, nous vivons dans des sociétés culturellement parfois très éloignées. Quel est le rôle de l’éditeur dans cet aspect de vie du jeu vidéo ?
“En tant qu’industrie, on a forcément notre rôle dans la perception des gens” concède Maxence là où Yann s’oppose à ce que des cellules prennent en compte – de manière automatique et obligatoire – le respect de certaines normes sociales, comme prioritaires.
On parle de Gamer Gate, d’équilibre des genres ou des minorités raciales, mais il semble devoir rester du choix de l’éditeur d’en faire un sujet ou non, dans le développement de son jeu. “Tous les jeux devraient avoir un éditeur d’avatars” s’amuse Yann qui réglerait alors tous les soucis d’identification. Mais c’est en parlant d’identification que la culture revient sur le devant du débat : le jeu vidéo doit-il s’adapter aux cultures ? Si ce n’est pas un devoir, en tout cas, il semble que ce soit monnaie courante ! Les développeurs, quand ils s’attaquent à différents marchés font des recherches très en amont, notamment sur la symbolique des codes et couleurs qu’ils utilisent dans leurs jeux. On se heurte souvent à des différences religieuses et intégrer des cinématiques liées à Noël par exemple peut sembler banal en Occident là où certains pourraient s’en offenser. Pour conquérir de nouvelles communautés, les développeurs font donc des efforts et des recherches approfondies, tout comme l’illustre l’exemple de Sandra qui explique le choix de hits brésiliens pour Just Dance ou la demande de droits spécifiques pour développer une version spéciale du jeu au Japon.
Face à un joueur constamment plus influant, les éditeurs de Jeu Vidéo changent les processus de développement de ces derniers.
S’il relève encore de la stratégie de chacun de choisir à quel niveau impliquer l’utilisateur final, il semblerait que l’industrie du Jeu Vidéo soit à l’image de la consommation actuelle : participative et engagée. A quand le profil du joueur-développeur ?
E.