Pour ce dernier portrait du Mois des joueuses, nous vous présentons Jehanne Rousseau ! Elle est CEO de Spiders, un studio de développement français spécialisé dans les RPGs (Bound by Flame,  Testament of Sherlock Holmes, The Technomancer)

Bonjour Jehanne ! Imagine le jeu vidéo comme une planète, comment tu la décrirais ?

Comme une planète qu’on n’aurait fait qu’effleurer, dont on a cartographié une petite part mais où les terras incognitas où naviguent encore des créatures fabuleuses représentent la majeure partie. Le jeu vidéo est jeune et si nous connaissons bien certains genres et les avons bien explorés, les évolutions technologiques mais également l’évolution des joueurs nous amènerons à découvrir de nouveaux continents, des profondeurs insoupçonnées… C’est une planète que j’aime et qui me fascine mais qui reste encore très largement à découvrir. Et pour quelqu’un qui fait du jeu vidéo, c’est très excitant.

Comment expliquerais-tu ton métier aux personnes qui ne jouent pas du tout aux jeux vidéo ?

Ma principale activité est très facile à décrire : je dirige un studio de développement, ce qui revient à dire que je dirige une petite entreprise, dont la taille implique forcément que je vais jouer non seulement le rôle de la gérante, mais aussi de la commerciale, de la responsable marketing et ainsi de suite en fonction des besoins de l’entreprise.
Concernant la partie plus créative de mon travail, j’expliquerai que les jeux vidéo sur lesquels nous travaillons ont pour décor des univers et impliquent des personnages fictifs, et que je crée ces univers, ces scénarios et ces personnages. J’imagine des mondes qui doivent avoir l’air aussi crédibles que possible. Je dois inventer leur histoire, leur géographie, leur économie et leur politique, et je me dois d’être garante de leur cohérence. Et ce travail m’amène à encadrer l’équipe du projet afin que tous les corps de métier qui donnent vie ensemble à cet univers aillent dans le même sens.
De même pour chaque personnage qui l’habite, je leur invente un caractère, une histoire, des buts et ainsi de suite, de telle sorte qu’ils aient l’air aussi vrais que possible, je travaille en collaboration avec des illustrateurs qui vont leur donner un visage et ensuite j’écris en grande partie leurs dialogues.

Parle-nous de tes projets actuels. Sur quoi est-ce que tu travailles en ce moment ?

Nous travaillons chez Spiders sur un nouveau jeu appelé Greedfall, dans un nouvel univers, j’ai donc beaucoup de choses à faire ! C’est un projet très intéressant car nous avons choisi des références peu usitées jusqu’ici : le 17e siècle. Mais ce n’est pas un jeu historique, ce n’est qu’une inspiration, il s’agit donc d’un monde fantastique, avec un bestiaire très riche, une histoire teintée de magie et de dieux anciens, des conflits politiques et religieux en pagaille, bref de quoi cogiter. A chaque nouvel univers créé j’essaye toujours de garder en tête cette idée de cohérence : l’autre soir j’ai passé plusieurs heures à faire des recherches, sans d’ailleurs trouver les réponses que je voulais sur les manœuvres maritimes de grands vaisseaux au 17e siècle et le langage employé par les marins de l’époque. Nous réfléchissons d’ailleurs à créer une langue pour une population qu’on va croiser dans le jeu, cette langue sera la base pour nommer villages et créatures… Je fais donc beaucoup de recherches, j’écris beaucoup aussi. C’est très touffu et c’est passionnant !

Une des premières images de Greedfall, le dernier jeu de Spiders

Comment as-tu réalisé que tu voulais faire carrière dans le jeu vidéo ?

Je ne suis pas sûre d’avoir réalisé avant d’y être que je voulais y faire carrière. Je jouais depuis mon enfance, j’aimais le jeu vidéo et j’étais tout particulièrement fascinée par les jeux de rôles, mais je ne pensais même pas qu’il était possible pour moi de travailler dans le jeu vidéo, ça semblait inaccessible. Je suis une dilettante, j’aimais dessiner, écrire et pour être honnête, après trois ans de lettres classiques à la Sorbonne et une prépa beaux-arts, je ne savais pas trop vers quoi me diriger. Mais j’espérais trouver un métier me permettant d’utiliser ces goûts variés. Et puis à travers des copains de jeu de rôle (qui se passionnaient plutôt pour le code) j’ai eu l’occasion de travailler pour la première fois comme graphiste 2D (il faut remettre ça dans le contexte, c’était la fin de la Gameboy et le début de la Gameboy Color) sur du jeu vidéo, et je ne me suis jamais arrêtée, ça va faire 19 ans. Quand j’ai enfin eu la chance de travailler sur un RPG chez Monte Cristo ça a été la récompense ultime, et après y avoir goûté, j’étais prête à tout pour continuer… Du coup on a monté Spiders avec mes collègues, et voilà !

As-tu quelques conseils pour une personne qui aimerait se lancer dans l’entrepreneuriat JV en France ?

Je pense que beaucoup de conseils sont applicables à toutes les créations d’entreprises : savoir s’entourer, faire en sorte d’avoir de quoi vivre pendant deux ans sans compter sur sa société pour ça, croire en ses projets et ne pas baisser les bras à la première difficulté et puis bien sûr savoir s’entourer. Sans mes collègues, mon équipe mais aussi bien sur mes proches, je ne pense pas que je me serais lancée. On ne peut pas être bon dans tous les domaines, même une dilettante comme moi ! Il faut donc des gens autour de vous, en lesquels vous allez avoir parfaitement confiance, pour vous épauler dans tous les domaines où vous n’êtes pas très bon, voir où vous ne connaissez rien.
Enfin il faut de la passion, beaucoup de passion, tenir à son rêve et ne pas le lâcher, parce que les difficultés vont être énormes, les récompenses souvent médiocres, du moins au début et que sans cette passion, il est tellement plus simple de baisser les bras.

Un dernier mot ? Un message à faire passer ?

Je dirai que malgré les difficultés rencontrées, le jeu vidéo est un espace créatif incroyable, où les talents les plus formidables, dans des domaines extrêmement variés travaillent ensemble à bâtir du rêve. Que demander de plus ? Donc si vous êtes doué en dessin, en sculpture, en écriture, en code, en musique, en création sonore, en animation, en 3D, en algorithmes, en mise en scène, mais également en marketing, en communication ou en d’autres domaines que j’oublie, il peut tout à fait y avoir une place pour vous dans le jeu vidéo.

 

Et c’est ainsi que se conclut notre série de portrait du Mois des joueuses ! Merci à Jehanne et à vous tous de nous avoir lu.

On se retrouve en mars 2018 pour un nouveau Mois des joueuses !

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Portrait : Jehanne, CEO de Spiders